Une mère, sa fille handicapée et la tentation d’en finir……..

Corinne M. était jugée par le tribunal correctionnel de Saint-Omer pour avoir injecté une surdose d’insuline à sa fille de 26 ans, atteinte du syndrome de Rett, une maladie neurologique qui la rend totalement dépendante.

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Palais de justice de Saint-Omer (Pas-de-Calais), en 2016.

Palais de justice de Saint-Omer (Pas-de-Calais), en 2016.

Devant le tribunal correctionnel de Saint-Omer (Pas-de-Calais), ce mardi 4 octobre, il y avait l’histoire de Corinne M.

Le matin du 22 février 2018, cette mère a injecté une surdose d’insuline à sa fille Emilie, puis elle a tenté de se suicider en se piquant elle-même. Elle s’est allongée, a attendu, Emilie a crié. Corinne M. est allée réveiller son mari et lui a dit qu’elle avait fait « une bêtise. » Il a aussitôt appelé les secours, la fille et la mère ont survécu. Emilie avait alors 26 ans. Elle est atteinte d’une maladie neurologique gravissime, le syndrome de Rett, diagnostiqué un an après sa naissance, qui la rend physiquement et mentalement polyhandicapée, couplé à un diabète insulinodépendant. Corinne M. a été mise en examen pour tentative d’assassinat, elle encourait la perpétuité, le juge d’instruction a requalifié les faits en « administration de substances nuisibles », un délit passible de trois ans d’emprisonnement.

La voix du président du tribunal, Olivier da Silva, s’est assourdie lorsqu’il a appelé le dossier numéro deux de l’audience du jour. Corinne M. a quitté le banc où elle était assise, entre son mari et son fils. Elle porte une robe au discret motif de fleurs, assortie au bleu vert de sa veste, et des collants sombres dans des souliers à petits talons. Elle trébuche en s’approchant du prétoire et pose ses mains jointes sur la barre.

« J’avais passé une nuit blanche. Ce matin-là, je me suis levée comme d’habitude. Emilie dormait. Je lui ai fait de l’insuline lente. Et je suis descendue préparer son petit-déjeuner. J’ai éprouvé une violente douleur dans la poitrine. J’en avais déjà eu, mais pas si fortes. J’ai paniqué. J’ai vu la trousse sur la table. Ça m’a donné l’idée d’en finir. Alors je lui ai fait son insuline normale plus des doses. Moi, je me suis injecté un stylo entamé et un autre stylo. je commençais à perdre connaissance quand Emilie a crié… »

Nuits sans sommeil, journées dévouées à Emilie

Cela faisait plusieurs semaines que Corinne M. ne dormait plus du tout. « Je prenais des somnifères mais il fallait que ce soit léger pour que j’entende Emilie. » Depuis plus de vingt ans, elle se levait deux fois par nuit en moyenne, « parfois plus », pour surveiller le taux de glycémie de sa fille et notait tout dans un cahier. Le médecin qui suivait Emilie a confirmé que son diabète était mieux contrôlé par sa mère qu’il aurait pu l’être par un personnel soignant. D’ailleurs, les rares fois où Emilie était confiée à une institution spécialisée, une ou deux nuits par mois, son équilibre était fragilisé. « Et quand elle revenait, elle me boudait. Je culpabilisais », dit Corinne M.

Aux nuits sans sommeil succédaient les journées entièrement dévouées à sa fille. Dans un corps de 26 ans, Emilie est un bébé de six mois qu’il faut laver, lever, porter, nourrir au biberon ou à la cuillère, distraire, occuper, lui mettre son disque des Beatles préféré quand elle refuse de dormir. « Quand elle a faim, elle crie. Dès qu’elle voit le soleil, il faut la sortir. Elle est très exigeante, il faut tout le temps être à côté d’elle. Si je sortais, elle criait jusqu’à ce que je revienne, même avec mon mari à côté d’elle. Pourtant, je lui expliquais tout ce que je faisais, que j’allais au linge, que je partais faire des courses… Pour moi, c’était toujours la course. Emilie pouvait faire une hypo [hypoglycémie] juste parce qu’elle criait longtemps. »

– « Vous partiez parfois en vacances ?

– On a essayé, mais ça s’est mal passé. Une fois, on est parti en Ardèche et le troisième jour, il a fallu l’hospitaliser. On est allé à Central Park aussi, mais c’était compliqué, il fallait prévoir un lit médicalisé…

Aviez-vous demandé de l’aide ?

– J’avais du mal. Je me disais, demander de l’aide, c’est dire qu’on n’y arrive plus. »

Son fils, ses voisins, son médecin trouvaient depuis quelque temps que Corinne M. était fatiguée, amaigrie. En plus de sa fille, elle s’occupait de sa mère âgée, à laquelle elle portait à déjeuner et faisait la lecture deux fois par semaine. Et puis, il y avait son mari, Patrick, qui ne travaillait plus depuis que son trouble bipolaire s’était aggravé.

« Mon mari, il faut toujours l’encourager, le mettre en valeur, le calmer dans son humeur, ses dépenses », dit-elle. Comme lorsqu’il achète six magnétoscopes d’un coup, ou arrive à la maison au volant d’un Range Rover, acheté à crédit 60 000 euros alors que la famille vit chichement sur sa pension de 2 354 euros, et qu’il menace d’aller se jeter du haut des falaises du cap Blanc-Nez si on le contrarie. Elle avait bien tenté de lui dire qu’elle n’y arrivait plus toute seule et surtout qu’elle avait peur de mourir en laissant sa fille. « Mais il ne se rendait pas compte. Lui, il me trouvait forte. »

Compassion et délicatesse

Corinne M. dit que le plus dur pour elle est d’avoir été privée d’Emilie, qui vit depuis quatre ans dans un centre spécialisé. « Je n’ai pas le droit de la voir seule, de la promener seule. Je n’ai pas pu lui expliquer, ça a été brutal. Elle me réclamait tout le temps. Je ne sais pas à quel point elle comprend les choses. En tout cas, elle ne m’en veut pas. Elle est toujours contente quand elle me voit. » Ses parents sont désormais autorisés à l’accueillir un samedi sur deux à la maison, seulement pour la journée. « Je voudrais l’avoir à Noël, mais si ça tombe un dimanche, je pourrai pas… »

Corinne M. dit aussi que, depuis, avec son mari, « on sort un peu plus. On fait des activités qu’on ne pouvait pas faire avant. ». Elle ajoute, dans un souffle : « C’était notre vie, c’était comme ça. » Son mari et son fils l’enlacent quand elle rejoint son banc, elle s’autorise seulement dans leurs bras un sanglot dans son mouchoir blanc.

Après elle, tous furent grands. Il y eut l’élégance de Me Romain Brongniart, partie civile au nom d’Emilie, se levant pour adresser simplement « tous [ses] vœux de courage à l’ensemble de la famille. » La compassion du procureur, Mehdi Benbouzid, s’interrogeant à voix haute sur le sens de la peine de « trois à six mois avec sursis » qu’il allait requérir. « Personne ici ne peut se mettre à votre place, Madame. Personne ne peut douter de votre amour pour votre fille. Pardon, mais si Dieu existe, j’espère qu’il a une bonne excuse. » Sa voix s’est étranglée lorsqu’il a conclu son réquisitoire par une phrase de Corinne M., le jour du drame : « J’ai eu seulement envie de partir pour un monde meilleur. Partir pour dormir. »

Il y eut encore la délicatesse de l’avocat de la défense, Me Benoit Cousin, évoquant le « pilier qui s’est effondré » dans ce pavillon jonché de peluches, de poupées, de cœurs et de fleurs à côté du fauteuil roulant d’Emilie, « la croix et le bonheur » de sa mère. Il y eut enfin une décision de bonne justice rendue par trois juges, qui ont déclaré Corinne M. coupable, mais l’ont dispensée de peine.